Après cinq ans de pouvoir d’un gouvernement de coalition mené par le parti islamiste Justice et Développement PJD, les marocains sont appelés aux urnes le 7 octobre prochain pour de nouvelles élections législatives. Deux acteurs sont en lice : le PJD qui en l’absence d’une opposition crédible a de fortes chances de rempiler pour une deuxième législative et les partis politiques traditionnels avec un nouveau venu le Parti Authenticité et Modernité PAM. Or, ni la perspective d’une deuxième législative susceptible d’être remportée pour la PJD, ni le retour au pouvoir des partis politiques traditionnels discrédités depuis des années ou l’avènement du PAM aux méthodes contestables ne semblent enchanter les électeurs.
A son arrivé à la tête du gouvernement, le PJD promettait
monts et merveilles dont un taux d’augmentation annuel du PIB de 6% mais
le taux de croissance sur les cinq dernières années n’a pas dépassé 3,2% alors
qu’il était de plus 4,5 % dix années auparavant. Ces résultats ont été atteints
alors que la facture pétrolière a été allégée et que des dons substantiels ont
été octroyés au Maroc- près de 5 milliards de dollars-par les pays du Golfe.
Les maux dont souffre le pays : la pauvreté, le chômage, l’exclusion mais aussi
le délabrement du système éducatif et de santé publique n’ont pas connu
d’amélioration. La réforme judiciaire réclamée par les citoyens, la société
civile, les investisseurs ainsi que les organisations internationales n’a pas
non plus été concrétisé par ce gouvernement. Deux réformes controversées dont
se targue ce gouvernement méritent cependant d’être citées : la réforme
des retraites dans la fonction publique et la réforme du système de
subventions.
En outre, le pays n’a
pas connu d’avancées notables ni sur le plan des libertés et des droits de
l’homme ni sur le plan de la lutte contre la corruption qui étaient pourtant
les slogans phares des campagnes de ce parti lors des précédentes élections.
Par ailleurs, ayant fait de la moralisation de l’action publique le crédo de
leurs actions, des
scandales de toutes sortes imputables à ces islamistes du gouvernement
ont jalonnés ces cinq dernières années. A la veille des nouvelles législatives,
une affaire de mœurs -somme toute banale dans un pays occidental mais réprimandée
dans un pays musulman et à plus forte raison entre deux élus islamistes - fait
actuellement les titres de la presse entre le chef groupe parlementaire et
une jeune parlementaire.
M
Abdelilah Benkirane chef du gouvernement et chef du parti Justice et Développement
« PJD »de son côté fuit ses responsabilités constitutionnelles et
répète à qui veut l’entendre notamment lors de cette l’interview
accordée à El Jazzera et à d’autres
organes de presse que c’est le Roi qui dirige le pays et que lui-même ne fait
que "participer au pouvoir". Sa justification : « ne pas entrer
en conflit avec le Roi » est une aberration car c’est bien le Roi qui a
approuvé et proposé la nouvelle constitution au référendum de 2011. En réalité,
il s’agit plutôt de son incapacité à celle de son gouvernement pléthorique et
inefficace - 37 ministres- à relever les
défis économiques et sociaux qui se posent au pays.
Or aucun chef de gouvernement appelé auparavant premier
ministre n’avait tant de pouvoirs constitutionnels. Car comme je l’avais déjà
rappelé dans un précèdent article, la nouvelle constitution de 2011 institue
pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle du pays, un chef de
gouvernement qui dispose du pouvoir exécutif et dirige un gouvernement dont les
attributions sont explicitées (article 92) à savoir entre autres l’examen des
projets de loi et des décrets qui ne sont plus soumis au conseil des ministres
présidé par le Roi (article 92). Ce dernier conseil se consacre essentiellement
aux orientations générales de la politique de l’état et à des délibérations
concernant les réformes et les lois constitutionnelles essentiellement (article
49).
Ces attributions qui n’existaient dans la constitution de
1996 permettent au chef du gouvernement élu, de remplir ses fonctions,
d’engager la responsabilité de son gouvernement devant la chambre des
représentants seule habilitée par une motion de censure à faire tomber le
gouvernement. Ce pouvoir était exercé aussi dans l’ancienne constitution par la
chambre des conseillers élue au suffrage indirect. Le Roi pouvait aussi mettre
« fin aux fonctions du gouvernement à son initiative » (article 24). Cette
disposition disparaît dans la nouvelle constitution.
Quand au fonds de commerce ou label commun pour tous les partis
politiques islamistes, à savoir la religion musulmane, il est
« verrouillé » dans la nouvelle constitution marocaine de 2011
puisque le champ religieux islamique est défini avec précision. La seule
autorité habilitée à prononcer « des fatwas est le conseil des Oulémas présidé
par le Roi » (artcle41). De ce fait et du statut de Amir Al Mouminine
(Commandeur des Croyants) du Roi, toute dérive ou surenchère islamiste est
exclue. Le chef du gouvernement de par la constitution n’a, aucune attribution
en matière religieuse. Il ne peut pas non plus intervenir en matière « de droit
de la famille et de l’état civil » qui sont du domaine du conseil des ministres
présidé par le Roi (article 49). Il doit se consacrer exclusivement au
développement économique et social du pays pour lequel il est élu. Ce qui n’a
malheureusement pas été le cas avec le PJD au gouvernement. Beaucoup de
marocains dont j'étais espéraient que ce parti qui n’a jamais participé au gouvernement
allait préparer de ce fait, la transition démocratique que le pays attendait
avec la mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles. Ce ne fut
pas le cas. Échec donc du PJD sur les deux tableaux : économique et social
mais aussi sur le plan constitutionnel.
Mais la transition
démocratique et le développement économique et sociale peut-elle être le fait
des partis politiques traditionnels ou historiques ou par le nouveau venu
« Le Parti de l’authenticité et de la modernité » ? Il semble
que non pour les raisons suivantes.
Il n’y a pas de
démocratie sans démocrates, c’est bien connu. Les réformes constitutionnelles
ne vont permettre au pays de sauter le pas vers une véritable monarchie
parlementaire que si le personnel politique fait sa mue. Les partis politiques
qui ont participé aux différents gouvernements depuis la première constitution
de 1962 ont été au fil des années largement discrédité aux yeux des marocains.
Si ceux ceux-ci se cachaient toujours derrière le fait que le pouvoir
monarchique leur faisait de l’ombre ce qui était en partie vrai mais pourquoi
donc ont-ils participé à des gouvernements dans lesquels ils n’avaient que peu
ou pas de pouvoir ? La réalité c’est qu’ils pouvaient faire énormément pour
leur pays et leurs concitoyens ce qui n’a été le cas qu’à de rares exceptions.
Souvent l’incompétence et la mauvaise gestion de ministres issus de ces mêmes
partis qui se sont succédé sur différents départements essentiels comme la
santé, l’enseignement ou la justice sont derrière le retard pris par le pays.
On outre, la gestion locale notamment celles des communes
pour laquelle ces partis politiques n’avaient aucune excuse est désastreuse la
aussi à de rares exceptions. En effet les rapports de la Cour des Comptes et
les autres organismes de contrôle ont montré sous de mauvais jours, des
conseillers communaux alliant l’incompétence, la mauvaise gestion à la
corruption. La presse marocaine a rapporté et rapporte dans le détail des
affaires de corruption de mauvaise gestion ainsi que toutes sortes de
marchandages à l’occasion des élections communales. Cet état de choses dû à la
cupidité des conseillers a été rendu possible par le fait que les partis
politiques ne sont pas très regardant sur leurs candidats et privilégiaient
toujours les potentats locaux souvent sans scrupules.
D ailleurs, une fois
élus, ces candidats ne sont plus encadrés par les partis politiques et ne
rendent aucun compte à ces mêmes partis. Les retransmissions par la télévision
des débats parlementaires achèvent d’assombrir ce tableau avec un hémicycle
clairsemé donnant une piètre image sur le sens de responsabilité des élus de la
nation. La plupart assistent certes à la rentrée parlementaire présidée par le
Roi mais disparaissent après.
Quant au nouveau venu, le PAM ce parti crée par un
conseiller du Roi et qui s’en est éloigné depuis, s’est retrouvé propulsé en
une année aux devants de la scène politique alors que le pays compte 33 partis
politiques du fait qu’il semble disposer de moyens financiers colossaux et dont
il a fait étalage lors des élections communales et régionales notamment. Ces
moyens financiers sont sans commune mesure avec les moyens mis par l’état à la
disposition des partis politiques. Pourtant, l’idée qui était derrière la
création de ce parti était somme toute louable. Car face à la montée des
islamistes et devant le délitement des partis traditionnels discrédités, la
création d’un parti politique susceptible de réunir une élite à même d’élaborer
un projet pour le pays était séduisante et pertinente. Sauf qu’après avoir été
dirigé par M Al Hima (conseiller du Roi) et M Bakkouri (un grand technocrate)
son chef actuel est un homme controversé. Élu dernièrement président de la
région du Tanger-Tétouan-Al Hoceima au lieu de commencer par élaborer un
programme pour le développement de cette région il s’est empressé d’organiser une
réunion internationale sur la dépénalisation du cannabis pour donner en
quelque sorte un gage aux cultivateurs mais aussi indirectement aux trafiquants
de drogue. En outre, la proximité réelle ou supposée de ce parti avec
l’entourage royal lui enlève la légitimité nécessaire pour conduire un
gouvernement véritablement autonome en phase avec les dispositions
constitutionnelles déjà énoncées dans cet article.
Vu ce qui précède et en conséquence, il apparaît donc tant le
PJD que les partis politiques traditionnels et le PAM ne semblent pas à même, ni de conduire la
transition démocratique espérée ni de réaliser les réformes économiques et sociales
escomptées par le pays.
Face à ce sombre tableau une lueur d’espoir semble cependant
se dessiner grâce à une femme : Nabila Mounib. Qui est-elle ? Née en 1960 à Casablanca, cette femme politique est secrétaire générale Parti
socialiste unifié depuis le 16
janvier 2012, elle a été élue chef de sa formation politique et devient la première
femme marocaine a être élue à la tête d'un parti politique. Elle
est également professeur d'endocrinologie à l'Université Hassan II de
Casablanca et secrétaire régionale du Syndicat national de l'Enseignement
supérieur.En 1985, elle
intègre ensuite l’Organisation pour les libertés d’information et d’expression
(OLIE) et l'Organisation de l'action démocratique populaire (OADP) qui devient
après fusion avec d'autres formations de gauche le Parti socialiste unifié.
Lors d’une récente réunion le 22 septembre dernier face
à un pourtour d’étudiants elle a déclaré
« Nous sommes face à un pouvoir supra-étatique, exercé par les institutions
financières internationales et néolibérales. Le Maroc est soumis à ce système
néolibéral et n’y échappera pas." « Notre
projet économique, c’est un projet pour créer une compétitivité acceptable et
donner envie à des entrepreneurs d’investir au Maroc. On est fier de notre
Maroc stable, mais cette stabilité demeure précaire. Pour la pérenniser, il
faut mettre les bases de la redistribution sociale » énonce-t-elle. « La
première réforme économique est une réforme politique. Il faut ériger les
fondements de l’État de droit et sortir de l’antichambre de la démocratie." « Il ne suffit
pas de dire que nous prônons le multipartisme pour dire que nous avons la
démocratie » poursuit-elle. Sur le volet politique, Nabila Mounib a parlé d'une « bipolarité artificielle » entre le PAM et le PJD. Selon
elle, le PJD « réactionnaire ». « Ils
instrumentalisent le religieux à des fins politiques. Ils ont pour ça un terreau
propice, puisqu’on a détruit l’école publique et l’espace culturel ». En face,
le PAM : « On veut bien qu’on nous parle de modernisme démocratique, mais
qu’est-ce qu’ils proposent pour ça ? Rien, parce qu’ils sont sortis de nulle
part, dans la lignée des partis créés de toutes pièces. Ils n’ont jamais été
autonomes ». « La modernité devrait commencer par moderniser la politique, donc
instaurer l’État de droit, la séparation des pouvoirs, lutter contre la
corruption, la rente, exiger la reddition des comptes ».
Je n’ai jamais cru dans la rhétorique de l’extrême gauche
par contre le programme électoral annoncé par un Nabila Mounib suscite de l'espoir.
Lire
un compte rendu de ce programme. Faut-il y croire ?
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