L’université
marocaine est orpheline et avec les démocrates marocains, le cœur de M
Mohamed Ghessous, le père de la sociologie marocaine et un des porte-voix des humbles et des démunis dans le pays a cessé de battre. Mohamed
Guessous s’est éteint le 08/02/2014 à
l’âge de 76 ans. Apparemment son grand
cœur n’en pouvait plus de la cupidité ambiante de la société et des déviations de son propre parti
politique de l’USFP ;
parti de Mehdi
Ben Barka rongé par l’arrivisme et la servilité et qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
Ses obsèques à Rabat
tenues le 10/02/2014 qui ont réunis l’ensemble du monde politique, de l’extrême gauche aux islamistes du parti
au PJD au pouvoir avec le chef du gouvernement en tête, des acteurs de la
société civile et d’un conseiller du Roi venu à titre personnel ont démontré la
qualité de l’aura dont jouissait cet
homme qui était une véritable icone dans le pays. Ceci a
été officiellement scellé par la lettre de condoléance du Roi à sa famille dans
laquelle celui-ci écrit « se
remémorer les qualités humaines, le patriotisme sincère et l'attachement
indéfectible du défunt aux constantes de la Nation et à ses valeurs sacrées. »
Né à Fès, il avait obtenu un doctorat en sociologie à
l’Université de Princeton aux États-Unis en 1968, avant de revenir au Maroc
où au lieu de se lancer dans les
affaires ou embrasser une carrière de haut fonctionnaire qui l’aurait conduit au sommet de la
hiérarchie administrative dans le pays ; il a
choisi l’enseignement de la sociologie et la philosophie à l'Université Mohammed
V de Rabat. Ancien membre du Bureau politique de l’USFP et auteur de
l’incontournable ouvrage “Les défis de la pensée sociologique au Maroc”, il
avait présidé l’Association marocaine de
sociologie (AMS) et était le fer de lance de cette sociologie militante qui
avait marqué les années 60 et 70 et qui visait à couper les ponts avec la
sociologie du colonisateur.
En effet, la sociologie pratiquée dans les années 1960
et 1970 se voulait critique sur
le plan théorique et politique. Décoloniser l’appareil conceptuel colonial
était presque un slogan, une précaution que tout chercheur – progressiste –
doit professer et éventuellement mettre en œuvre. La tâche essentielle de la
sociologie consiste à mener un double travail critique : déconstruire les
concepts ethnocentristes des sociologues qui ont parlé à la place des
Marocains, et mener une critique du savoir et des discours élaborés par la
société marocaine (ou arabe) sur elle-même... Cette tendance se reflète dans
les cours et les travaux de Mohamed Guessous qui mobilise en tant que militant
politique son savoir sociologique et inversement. Intervenant dans des débats
politiques, sur des questions liées à la démocratie, à l’enseignement, au développement,
etc. Il est fréquent de trouver dans ses entretiens des exposés critiques,
quoique succincts et simplifiés, sur les théories et les concepts du
changement, de la modernisation, de la spécificité, de la culture et de l’idéologie.
Il faut ajouter que la majorité de ses entretiens est publiée dans des revues
académiques et sont conduits par des enseignants-chercheurs.
C’est pourquoi pour
lui, recherche et engagement politique devaient aller de pair puisque toute
sociologie politiquement ne pouvait être
« neutre ». Cette approche militante s’est d’ailleurs reflétée dans l’ensemble de
ses cours et travaux qui mobilisaient tant son engagement politique et son savoir sociologique et inversement. C’est pourquoi ses cours et conférences
étaient très courus.
Souvent persécuté à cause de ses idées politiques, il avait toujours tenu bon et prêté main forte
à tous les étudiants qui avaient besoin de son aide. Sa maison était toujours
grande ouverte à ses étudiants. Il l’avait fait avec autant d’allant que l’on
peut aujourd’hui avancer, sans risque d’être contredit, « qu’il a formé la majorité des sociologues qui ont pris sa relève ».
Mohamed Sghir Janjar, sociologue, directeur adjoint de la fondation du Roi
Abdul-Aziz de Casablanca, et un de ses anciens disciples, le décrit comme un
homme doté d’une verve particulière «Son discours était empreint
d’interférences linguistiques, bien qu’il était un fervent défenseur de
l’arabisation», précise le sociologue marocain. «C’est aussi un homme d’une
extrême générosité, poursuit-il, il nous
a offert des livres d’une qualité inestimable à l’ouverture de la fondation.»
Notre «Durkheim», comme se plaisent à le qualifier certains de ses pairs,
laisse une œuvre très riche sur la problématique de la langue d’enseignement,
le bilinguisme, sur la pensée sociologique au Maroc, la jeunesse et la
transformation de la société.
Il intervenait dans les débats politiques, sur des questions liées
à la démocratie, à l’enseignement, au développement, entre autres et il prenait
souvent à cœur de préciser de façon pédagogique ce qu’il considérait comme confus ou ambigu. Sa gentillesse légendaire était doublée d’une
droiture et d’une probité exceptionnelle
« ses cours étaient d’abord
considéré comme une suite d’exposés critiques, quoique succincts et simplifiés,
sur les théories et les concepts du changement, de la modernité, de la
spécificité, de la culture et de l’idéologie. » C’est pourquoi, les
amphithéâtres ou il donnait ses cours étaient bondés d’étudiants qui n’étaient
pas toujours les siens et dont j’en fus. Ses écrits portaient sur la rationalité, la modernité et
les enjeux de la sociologie au Maroc, un texte sur les chefferies (Al qiyadate)
et les stratifications sociales, etc. Feu
Mohamed Guessous, est l'auteur de l'ouvrage "Les défis de la pensée
sociologique au Maroc" qui lui valut le statut de "père
spirituel" de la sociologie au Maroc. Il préparait un nouvel ouvrage sur
"la nature et les espoirs de la société marocaine contemporaine".
Son engagement politique, outre un engagement sur le terrain en
tant qu’élu communal d’un quartier pauvre de Rabat. C’est en tant que membre du bureau politique de l’USFP que cet engagement
s’est illustré. Il a tout donné à ce parti sans rien recevoir en contrepartie
mais attendait-il une contrepartie ?
Pendant que ses camarades du
parti se battaient à couteaux tirés lorsque ce parti a participé au
gouvernement pour des postes ministériels et des fonctions supérieures dans la
haute fonction publique lui restait en retrait. Ce n’était nullement inscris dans son parcours
et sa façon de faire de la politique. L’histoire retiendra de lui à cet effet
qu’il n’a pas hésité à s’opposer à la participation de ce parti au gouvernment
d'alternance de 1998 sous le règne de Hassan II alors que le pays était
encore régis par la constitution de 1996 qui concentrait le pouvoir exécutif
aux mains du Roi et alors que l’homme
fort du régime Driss
Basri était toujours en en fonction.
Les faits lui ont donné raison avec le déclin de l’aura de ce parti
naguère fer de lance de la contestation dans le pays, dans la vie politique
marocaine, intervenu suite justement à cette participation et à son incapacité
à développer un discours sur un socialisme moderne prenant en considération les
aspirations illustrées notamment par le mouvement du 20 février crée dans la
mouvance du printemps arabe.
Feu
Mohamed Guessous lui, il est allé rejoindre Mohammed
Abel-Jabri lui aussi ancien membre
du bureau politique de l’USFP qu’il a quitté plutôt trop à l’étroit dans ce
parti, une autre icone lui aussi non seulement de la pensée marocaine
mais arabe rendu célèbre par sa Critique
de la Raison Arabe et par ses refus du
prix Saddam Hussein à la fin des années 1980 (100 000 $US) et le prix du
colonel Kadhafi en 2002 (32 000 $US). Tous les deux sont largement méconnus dans l’hexagone car ils ont
choisi d’écrire en langue arabe.
En conclusion à cet article, je me permets
de lancer un appel pour l’impression et l’édition de l’œuvre complète de
Mohammed Guessous y compris ses
nombreux articles et conférences et leur traduction en langue Française pour le
public francophone. Au-delà des discours
qui ont accompagné sa disparition, c’est le meilleur hommage qu’on peut lui
faire
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